La com et la Covid-19

La récente période liée à la pandémie de la Covid-19 nous a valu de très « beaux » moments de publicités télévisées à la limite de l’indécence, des newsletters désemparées, des propositions commerciales douteuses… Pour tenter de comprendre le pourquoi du comment, la lecture de CBNews La matinale durant le confinement donnait quelques pistes sur l’état d’esprit des agences de communication, passablement perturbées dans leurs fondamentaux et leurs habitudes : plus d’acheteurs dans les magasins, plus de déplacements, une économie totalement à l’arrêt… Dès lors, que communiquer ? Comment ? Et vers qui ?

Les rédacteurs de l’infolettre de CBNews se sont donnés du mal – il faut le reconnaître – pour mener de nombreux entretiens avec des responsables d’agences de communication et rendre compte de l’espèce de sidération qui s’est emparée, dès le mois de mars, des milieux de la com. Non sans humour parfois. Ainsi, alors que tout le monde était confiné chez soi ou presque, sans savoir jusqu’à quand, Frédéric Roy, dans son éditorial du 5 avril 2020, intitulé Monde parallèle s’étonne : « Je suppose que c’est pareil chez vous. Je continue de recevoir des pubs épatantes. On me propose la nouvelle collection de chaussures Schmurtz – sublime – ou d’essayer une Gloups Supersport pour que je puisse m’imprégner de sa puissance et vérifier sa tenue de route sans égale. Vous imaginez bien que je ne demande que ça moi, d’essayer des engins ou de renouveler ma garde-robe. Et puis, il y a les optimistes forcenés comme ce distributeur de jouets qui m’a envoyé un communiqué sur sa gamme d’été, ce moment où les enfants sortent dans le jardin, vont à la plage ou au parc… […] certains ont oublié d’appuyer sur le bouton cancel des envois programmatiques […] pendant que nous sommes enfermés, les petits algorithmes continuent à travailler sans se soucier du virus. Et c’est comme ça que nos fils d’infos sont parsemés d’annonces surréalistes… ».

Le plein de bonnes intentions

Dès le 30 mars, troisième semaine de confinement, les responsables d’agences parisiennes répondent à une série de questions.1 Les extraits qui suivent résument assez bien l’état d’esprit général. Ainsi, Dimitri Guerassimov (VMLY&R France) explique : « Un peu partout le débat fait rage sur la posture à adopter de la part des marques face au Covid-19. Comment faire partie de ces marques connectées à leur époque et à la société, qui continuent de communiquer pour redémarrer plus vite après la fin de la crise, sans être taxés d’opportunisme ou de récupération ? Il me semble qu’aujourd’hui, les gens attendent des marques des gestes plus forts que de purs actes de communication,2créatifs ou pas. ».3 On sent qu’il y a une prise de conscience et que, dans la tête du publicitaire, la consommation pure pourrait ne plus être le seul but dans la vie de l’acheteur moyen (les « gens »). Fallait-il une crise sanitaire pour s’en rendre compte ? Pas sûr, mais visiblement, la question de la citoyenneté et de l’engagement interpelle. Le même jour, Philippe Paillart (BCW France) veut en tout cas y croire : « Avec nos collaborateurs, nous recherchons actuellement une association à soutenir au travers d’un mécénat de compétences pro bono lié à la crise. J’espère que l’agence pourra s’engager très vite dans ce genre d’actions. Comme toute collectivité de citoyens, nous avons besoin de participer activement au combat. Et au-delà, nous sommes conscients que demain ne sera plus jamais comme aujourd’hui. Les attentes vis-à-vis des entreprises et de marques seront différentes. Notre mission sera d’aider notre écosystème à le comprendre et à s’adapter. La communication sera au cœur de la dynamique de transformation que connaîtront nos sociétés au-delà de cette crise.»4Certains vont encore plus loin : pour Lucas Denjean (Sensiogrey) « Le risque, c’est l’approche opportuniste et la gabegie de conseils et astuces pour s’organiser pendant le confinement, parfois sans lien avec la promesse ou le territoire de la marque. »5Attente différente, engagement, participation au combat, transformation, sincérité… On se dit qu’après la crise, le monde de la pub va évoluer et nous prendre un peu moins pour des adultes immatures (et même un peu crétins), avides d’acheter encore et toujours… (on a le droit de rêver).

Quand la réalité dément le discours

Un jour d’avril, j’allume ma télé pour jeter un œil à la énième causerie sur les risques de la pandémie et, quand viennent les pages de pub, je suis attentif, j’attends : je veux voir l’effet des changements annoncés… Patatras ! Voilà le spot du Crédit Agricole : « Agir chaque jour dans votre intérêt et celui de la société »… Les bras m’en tombent, la « déclaration d’amour au français » (sic) se résume en une suite de clichés qui dure 50 longues secondes sur fond du Formidable d’Aznavour : Tracteur dans la nuit / des réveils sonnent / une étudiante sort du lit et se met à réviser / un boulanger pétrit son pain / un éboueur fait son boulot / un éleveur sort ses moutons / et c’est le temps de la pauvre maman totalement débordée par ses méchants enfants le matin / Hop ! Une louche de soignants (une infirmière qui marche dans un couloir d’hôpital) / puis un chalutier avec forte houle et un jeune pécheur courageux et fier / une personne âgée et pauvre reçoit de la soupe de la part d’une femme tout sourire / encore un bonne louche de soignants et enfin des pompiers, version virile au ralenti… Viens la chute : le soir se couche sur un joli village du sud et on peut lire : « On ne sera jamais aussi formidables que vous, mais les femmes et hommes du Crédit Agricole restent mobilisés partout en France pour vous accompagner et soutenir l’économie. » Résumons. Le spot laisse entendre que les gens qui font leur boulot normalement sont d’un coup devenus formidables et même des « héros du quotidien » (sic). Admettons. Par extension, le personnel du Crédit Agricole est donc lui aussi formidable et héroïque ! Quel beau syllogisme… Au-delà de la pauvreté du discours et des « jolies » images (bien tournées mais beaucoup trop lisses pour être honnêtes), ce spot est totalement sexiste : les hommes y sont montrés comme des « vrais travailleurs » (7 des thématiques sont représentées par des figures masculines) quand les femmes sont débordées ou juste bonnes à apporter un peu d’humanité (4 présences féminines). La musique qui soutient l’image est un vieux tube de Charles Aznavour sorti en 1963. Sur fond de jazz éculé, elle raconte l’histoire d’un mec qui ne parle pas assez bien l’anglais pour draguer une jeune femme et tente des jeux de mots sur les prononciations entre les deux langues (for me – formi-dable)… Quel rapport avec la « gravité» et « l’importance de la déclaration » dont se targue la banque dans sa présentation ?6Aucun… sauf le titre, qui reboucle avec le fait que nous sommes – prétendument – formidables et héroïques. Le montage fait habillement finir la chanson et son « Can I love you? » (« est-ce que je peux t’aimer ? ») sur le slogan final. Restons au premier degré… Ça doit être ça, l’approche opportuniste dont il était question plus haut…7

Ce soir-là, les banques attaquent fort. À peine remis de ma première pub, je tombe sur celle de la Caisse d’Épargne : 45 secondes de levers de soleil (tiens, encore le matin) où la banque s’interroge sur « demain ». Une série d’images esthétisantes et pseudo-symboliques (des masques qui sèchent, un livre dont le vent tourne les pages, une silhouette au loin qui tend la main à une autre pour terminer une escalade…), toutes à contre-jour (de levers de soleil, bien sûr), s’égrainent sur fond de violons mièvres et servent de support à un texte d’une profondeur inégalée : « Demain, est-ce que ce sera le monde d’avant ou le monde d’après ou un peu des deux ? ». Et les clichés suivent les poncifs pour finir sur un visage de femme (qui regarde au loin, vaguement inquiète…). Heureusement le soleil se lève (encore une fois) et nous assène la vérité : grâce à la Caisse d’Épargne, le monde va changer.8Intérêt pour le public ? Aucun. Intérêt pour la marque ? Aucun. Personne ne peut croire raisonnablement qu’une banque puisse changer le monde en positif, sauf peut-être les banquiers eux-mêmes.

Encore une banque… Pendant le confinement, elles avaient décidément ab-so-lu-ment besoin de se sentir exister et d’être dans le coup. La palme de l’indécence revient sans doute au Crédit Lyonnais (LCL) qui se propose en 25 secondes de dire « Merci à toutes celles et tous ceux qui font vivre notre pays ». De nouveau, c’est la nuit… (voix off) « à ceux qui se lèvent tôt, celles qui finissent tard, ceux qui travaillent – ou qui font ce qu’ils peuvent pour y arriver » (images d’un malheureux papa en télétravail avec les enfants qui passent en courant)… De nouveau des boulangers, et encore, encore les même images de soignants…9En glorifiant « ceux qui travaillent » le LCL cherche-t’il à dire que ceux qui ont perdu leurs boulots ou ne peuvent pas travailler sont des personnes peu recommandables ? J’espère que non…  C’est vrai qu’ils ne rapportent pas d’argent, eux. Je trouve néanmoins inquiétant qu’une banque – organisme financier non productif qui fait commerce de l’argent – s’arroge le droit de remercier les Français pour leur travail et leurs efforts. Qu’un président de la République ou un Premier Ministre le fasse semble possible ou logique, mais une banque? Oser se positionner au dessus du peuple quand ont est juste un commerçant, c’est faire preuve d’un cynisme totalement décomplexé. Voudrait-on nous faire oublier les fonctionnements délétères de ces organismes financiers sur les marchés, leur peu d’entrain à soutenir les petites entreprises ou le pillage organisé, proche du racket, de tous ceux qui ont des problèmes de fins de mois sans forcément en être responsables ?

J’ai gardé pour la fin le cas de Danette. Déjà ridicule avec ses pubs (soit-disant drôles ou carrément imbéciles, au choix) qui mettent en scène une famille d’heureux idiots fiers d’avoir jeté leur chaise pour être toujours « debout pour Danette ». La marque (et son agence-conseil) on crut bon de devoir eux aussi « occuper le terrain » pendant le confinement. Et c’est reparti pour 30 secondes de remerciements aux éboueurs, parents, boulangers, soignants, etc. (toujours et encore la même liste limitative) en tableaux écrits dans la charte graphique de la marque, (c’est pas cher et c’est vite fait) pour arriver à un « jeu de mots » sur le slogan de Danette : « Merci d’être toujours debout (et on sait que ça n’a rien à voir avec nous) ». Hallucinant ! Quand on a rien à dire, il vaut mieux se taire.10

Dans la catégorie de l’indécence, on pourrait aussi citer Easyflyer qui a fait une grosse campagne d’e-mailing sur le thème « Limitons la propagation du virus », en proposant à la vente toutes sortes de masques en tissu ou en papier sur lesquels les entreprises pouvaient apposer leur logos ou autres décorations. Rien de bien méchant me direz-vous… sauf qu’en toutes petites lettres, sous les images, il était noté : « Ces masques sont destinés à être utilisés par le grand public. Nous précisons qu’il ne s’agit pas d’un équipement de protection individuel (EPI) ni d’un matériel médical ». Mais l’image, elle, dit bien : « Le meilleur outil pour assurer votre protection et celle de vos collaborateurs et clients ». Un procédé pour le moins douteux…

Caramba ! Encore raté…

Pour le changement et le nouveau monde, il faudra attendre un peu. La fin du confinement a fait repartir les bonnes vieilles habitudes : les vaches à lait que sont les consommateurs restent les vaches à lait, le marketing dicte sa loi et les publicitaires alignent des images… (Il faut que l’économie reparte : les agences se sentent de nouveau utiles). Quels enseignements peut-on tirer de ces derniers mois de communication des marques ? Les spots publicitaires dont je parle ici ne sont pas l’effet du hasard. Les équipes qui les ont conçus maîtrisent parfaitement le sens de leur démarche et les arcanes de la réalisation. Tout cela a été validé par les directions de la communication et les cadres dirigeants de chaque entreprise. Sans vergogne, on a donc assisté à une jolie récupération, au contraire des gestes forts ou des vœux d’« évolution » appelés par les agences citées au début de ce texte. Les publicitaires ont encore beaucoup de travail et d’introspection à effectuer pour aligner leur discours (qu’on veut croire sincère) avec leurs actions et leurs productions… et convaincre leurs clients du bien-fondé d’une démarche nettement moins démagogique.

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Michel

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