Comment se retrouver dans une foultitude d’appellations et faire la différence entre un graphiste, un infographiste, un designer graphique, un concepteur graphique, un maquettiste et que sais-je encore ? Pas simple… d’autant que ces vingt dernières années sont nés de nouveaux métiers, où le design est très présent, comme l’UX, l’UI et le webdesign.
La définition du mot « graphiste » proposée par Wikipédia (en français) correspond plutôt bien à la réalité de terrain d’un indépendant ou d’un salarié en agence : « professionnel qui conçoit des solutions de communication visuelle, le graphiste travaille sur le sens des messages à l’aide des formes graphiques qu’il utilise sur tout type de supports [non limité aux produits imprimés, NDA]. C’est un médiateur qui agit sur les conditions de réception et d’appropriation des informations et des savoirs qu’il met en forme. L’appellation “designer graphique” est quelquefois préférée au terme “graphiste”, parfois jugé trop réducteur, par exemple dans les pays anglo-saxons et certains pays de la francophonie (Québec notamment). ». Cette définition pose, avec raison, l’idée que le graphisme ne se résout pas à la seule question de l’habillage esthétique auquel il est souvent réduit, ou même considéré uniquement comme un vague savoir-faire technique.1Quand est-il dans les faits?
De quoi s’y perdre
Qui dit métiers dit formations, et donc définition. Apprentissage, bac pro, bac technologique, DUT, licence, master, auxquels s’ajoutent les écoles privées avec des Bachelor et des diplômes reconnus ou non par l’État… la formation au graphisme est un marché florissant… Le problème est qu’une fois diplômé, on ne dit pas « j’ai un bac pro Réalisation de produits imprimés et plurimédia option A productions graphiques » ou « j’ai un diplôme national des métiers et arts du design, spécialité livre », mais « je suis graphiste »… Et « graphiste » n’est en aucun cas un grade ou un titre qui détermine un niveau de professionnalisme, de savoir-faire ou de connaissance, au contraire d’un ingénieur par exemple.
La lecture des fiches Onisep et les intitulés des différentes formations proposées permettent de cerner un peu mieux les filières existantes, même si différentes fiches répètent quasiment le même texte de présentation (insistant sur le plaisir de la réalisation esthétique) en titrant infographiste, graphiste, designer… Néanmoins, il est aisé de se rendre compte que les trois bacs pros2sont tournés résolument vers les imprimeurs et les fabricants de signalétiques et d’enseignes. Ils visent à former des techniciens exécutants plutôt que des graphistes au sens de la définition qui ouvre ce texte. Il est intéressant de noter que les dénominations mentionnent, pour l’un les « industries graphiques »3et, pour les deux autres, « l’artisanat d’art », ce qui paraît tout de même assez surprenant. Il existe aussi un bac technologique de « sciences et technologies du design et des arts appliqués »4accessible par une seconde générale avec option « création et culture design », dont le corpus semble dirigé vers le numérique. À côté des formations de l’Éducation nationale, existent de nombreuses écoles privées et reconnues (École de Condé depuis 25 ans par exemple) qui, pour certaines, accueillent des élèves dès la seconde avec des cursus spécialisés.
L’après-bac est tout aussi foisonnant. Il spécialise – ou catégorise, à tort ou à raison ? – les études : 2 BTS (bac + 2), plus d’une dizaine de licences différentes (bac + 3), 8 master (bac + 5) vers le livre, l’événementiel, le numérique, le graphisme (véridique…), l’art, la communication, le motion design, le jeu vidéo… DN MADE (diplôme national des métiers et arts du design), DSAA (diplôme supérieur d’arts appliqués), DNSEP (diplôme national supérieur d’expression plastique) se côtoient ou se concurrencent… Où est le « graphisme » dans tout ça ? Dilué entre les arts plastiques, la communication, le numérique et le design ? Pourquoi le web et les applications, dont les parties esthétiques et navigation aurait cruellement besoin des « graphistes » sont-ils totalement absents de ce panel ? Le mélange et la superposition contribuent à brouiller encore plus l’image du métier, si celui-ci existe.
Du côté de l’INSEE
On pourrait penser que l’Institut national qui régule les codes Métiers et les codes Entreprise fournirait tout ou partie de la réponse, à la différence des formations qui se sont créées au fur et à mesure de l’évolution des techniques et de la demande. Pourtant, c’est plutôt le contraire qui se passe.
Commençons par les codes NAF (qui qualifient statistiquement les entreprises) : dans la classe des « activités spécialisées, scientifiques et techniques », il y a une sous-classe d’activités de design (70.10Z) – mise à jour en 2008 – dans laquelle on trouve un peu de tout. Les activités de concepteur graphique (et non de designer graphique ?) côtoient la création de bijoux, de meubles, de chaussures, d’objets de décoration intérieures, d’articles de mode ; le design industriel ; la décoration d’intérieur… pour les concepteurs web, c’est ailleurs (62.01Z), une sous-classe de la programmation informatique (mais contient aussi les jeux vidéos…). Là où ça se complique (et devient même contradictoire), c’est qu’on trouve, dans la liste non plus des entreprises, mais des professions – mise à jour de janvier 2003 – catégorie socioprofessionnelle « cadres et professions intellectuelles supérieures», sous-classe des professions de l’information, des arts et des spectacles… des « graphistes artistes » et des « infographistes artistes » mais dont sont exclus les « maquettistes » et les « graphistes artistes de premier plan ».5 En fouillant un peu, l’Insee propose sa définition des infographistes (catégories employés) : « artistes et créateurs qui, dans le domaine des arts graphiques et plastiques, élaborent une production dont le caractère artistique est affirmé et reconnu comme tel (une définition à la limite du farfelu… ). Un petit dernier pour la route ? En 2016, le ministère de la culture a publié une nouvelle liste des métiers d’art, qui les répartit de manière nouvelle, par filière. Et là, ô surprise, on trouve un « domaine du papier, du graphisme et de l’impression ». Cela signifierait-il que le graphisme est un métier d’artisanat – d’art ? – (mais limité au monde du papier et de l’imprimerie qui n’est plus du tout un métier d’art.). Tout cela est ubuesque et en retard d’au moins vingt ans sur la réalité.
Bon, il veut en venir où le garçon ?
Si j’en reviens au départ de ce texte, chacun sera d’accord pour dire que la réponse à la question posée dans le titre n’est finalement pas évidente. Même la définition de Wikipédia, pourtant réaliste, semble décalée, sinon contradictoire, par rapport aux formations ou aux appellations de l’Insee. Cette façon de présenter le métier n’est, de surcroît, pas partagée par l’ensemble de la profession.6
De manière un peu plus grave, ce ou ces métiers se sont construits « sur le tas » pour répondre à la révolution numérique7née il a une vingtaine d’années et n’ont pas réussi à se structurer en profession. Au final, ni syndicat,8ni convention collective, ni réflexion groupée, ni tarifs horaires de base pour les salariés comme pour les indépendants et je ne parle pas de la formation continue… Tout cela n’aide pas à la reconnaissance et à la prise en compte du travail des graphistes.
Pour continuer à brouiller les pistes, beaucoup, dont le ministère de la Culture et les deux acteurs officiels du graphisme en France que sont Chaumont et Échirolles9poussent l’idée, à longueur d’expositions ou de colloques, qu’il faut considérer les graphistes uniquement comme des artistes, au contraire de ce qu’est la réalité de la production, niant de fait 90 % de la profession.
À l’heure où les plateformes de vente en ligne de logos – faits par des pseudo-intelligences artificielles – pullulent, où n’importe qui peut finaliser en quelques minutes des graphismes prêts à imprimer, où le marketing des sites Internet en kit a les moyens de s’offrir des spots télé et gagne tous les jours des parts de marché, y compris parmi nos clients,10 il serait temps de s’inquiéter pour le devenir de nos professions et pour celui des milliers de jeunes qui sortent des écoles chaque année.
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